Bruno Bréchemier

Dans les sanctuaires du shintō, l’énergie des forces vitales

Le célèbre torii d'Itsukushima

Pour découvrir le Japon, la meilleure approche est de lâcher l’intellect et s’ouvrir aux sensations, comme en hypnose. Il suffit de se poser, en silence, et se laisser imprégner par l’atmosphère des lieux, en particulier ceux qui semblent les plus mystérieux. Parmi eux, les sanctuaires shintō, appelés jinja en japonais. Le shintō (voie des dieux), religion autochtone propre à l’archipel, incarne l’âme la plus ancienne et profonde du Japon. Véritable socle culturel millénaire, il tisse un lien vivant entre le présent et les origines du pays. À la fois communion avec la nature, célébration de la vie et espace de régénération, le shintō entre en résonance avec les aspects les plus fondamentaux de l’hypnose.

« Chaque visite d’un jinja est une expérience unique et inoubliable. Comme en hypnose, où chaque séance, chaque transe, a ses propres caractéristiques, sa propre atmosphère, ses propres connexions multiples. En se promenant dans ces lieux à l’énergie profonde, où des cèdres souvent centenaires nous invitent dans leurs ombres mystérieuses, on entre dans une autre dimension, dans une transe (autohypnose) souvent surprenante. On ne peut alors que s’impré- gner de la beauté des lieux, de leur silence si particulier. »1

À l’entrée du sanctuaire se dresse un grand portique, souvent rouge vermillon, l’une des images emblématiques du Japon. Il marque symboliquement la transition entre le monde extérieur et l’espace sacré.

Cela fait écho à la construction du lieu ressource en hypnose, où l’on guide la personne vers la création d’un espace mental sécurisant, un sanctuaire intérieur. De la même manière, les sanctuaires naturels du shintō – forêts sacrées, sources limpides, cascades – rappellent certaines métaphores thérapeutiques couramment utilisées en hypnose : marcher dans une forêt intérieure, écouter le murmure d’une rivière imaginaire, ou se laisser envelopper par une cascade bienfaisante.

Dans le shintō, la connexion à la nature est essentielle pour préserver l’équilibre physique et mental. Se recueillir devant un arbre vénéré, se rendre dans un sanctuaire niché au cœur d’une forêt sacrée ou encore pratiquer le shinrin yoku (bain de forêt) sont autant de pratiques reconnues pour leurs bienfaits sur la santé. La vision japonaise du monde naturel ne repose pas sur un dualisme entre l’homme et son environnement, mais sur une relation intime, où humains et nature coexistent comme les membres d’une même grande famille. En hypnose, on observe combien la nature imprègne les perceptions des patients et joue un véritable rôle thérapeutique.

Bassin aux ablutions

Les rituels de purification occupent une place importante dans le shintō. Ils visent à éliminer les impuretés (kegare) affectant l’équilibre physique, mental et spirituel. Dès l’entrée du sanctuaire, un bassin d’ablutions invite à un rituel codifié. Cette démarche trouve un parallèle en hypnothérapie lorsqu’au début de la séance on guide la personne à travers les couches du mental analytique, souvent agité, pour atteindre un état plus fluide, intuitif et profond. La purification par l’eau rappelle les inductions hypnotiques fondées sur des métaphores aquatiques, tandis que l’usage du sel ou du feu évoque certaines suggestions de purification par la lumière ou les flammes.

De nombreux sanctuaires shintō sont consacrés aux pratiques de guérison. Citons le Goō jinja (Kyōto), particulièrement fréquenté pour les prières liées à la guérison des blessures, et le Sai jinja (Nara) qui possède un puits contenant une eau médicinale utilisée dans certains traitements traditionnels. Lors de certaines fêtes rituelles (matsuri), les prêtres récitent des prières adressées aux divinités pour éloigner la maladie et restaurer la vitalité. Ces cérémonies, rythmées par les tambours (taiko), la musique et la danse, représentent une forme de transe collective. Le Nagoshi no harae, en juin, est un rituel de purification où les participants traversent un grand cercle de paille pour se libérer des impuretés accumulées et renforcer leur énergie vitale.

Dans les sanctuaires, les fidèles accrochent des ema, petites plaques votives en bois, sur lesquelles ils inscrivent leurs prières et dessinent parfois la partie du corps à soigner pour guider l’aide des dieux. Ces plaques sont ensuite brûlées lors du dondoyaki, un festival du feu célébré mi-janvier dans tout le Japon, où l’on consume également les décorations du Nouvel An afin de symboliser un renouveau spirituel et de prier pour la prospérité de l’année à venir.

Plaquettes votives (ema)

À travers ces rituels, le shintō illustre une approche holistique du soin, où le sacré et la guérison s’entrelacent dans une relation vivante entre l’homme et les forces spirituelles, les kami.

Dans le shintō, les kami sont des entités invisibles qui influencent la vie humaine. Cette idée peut être rapprochée du dialogue intérieur en hypnose, où une personne peut « rencontrer » un guide intérieur, une force bienveillante, qui représente une part d’elle-même encore inexplorée. On pourrait voir les prières aux kami comme une manière de dialoguer avec l’inconscient, en attribuant à une divinité une fonction de guérison ou de protection. Dans Créer le réel, Thierry Melchior2 rappelle que depuis la nuit des temps, les traditions de guérison du monde entier s’appuient sur des procédés proches de ce que nous appelons aujourd’hui l’hypnose. Les chamans, prêtres et guérisseurs n’évoquent pas l’« inconscient » mais parlent d’esprits, de dieux ou de démons – des représentations en accord avec leur culture, qui fonctionnent cependant de manière analogue. L’hypnose et le shintō partagent cette même idée d’un accès à une réalité invisible capable de transformer l’individu.

Cette perception, enracinée dans la culture japonaise, imprègne également l’univers des manga et des anime, notamment chez Miyazaki. Dans Mon voisin Totoro, le visible et l’invisible s’interpénètrent, les rêves ne sont pas distincts de la réalité, mais l’enrichissent, la façonnent et lui donnent sens. L’imaginaire et la réalité se fondent en une continuité où la nature devient le reflet d’une force vitale éternelle. Cette vision fait de l’invisible une réalité aussi tangible que le visible, et des rêves des portes ouvertes sur une dimension plus vaste. Les productions japonaises diffusent cette approche à travers le monde, influençant l’imaginaire collectif des jeunes générations et imprégnant leurs perceptions hypnotiques.

Enfant de 3 ans lors de shichi-go-san

Les Japonais se rendent au sanctuaire de leur quartier ou de leur village pour marquer les moments clés de la vie tels que mariage, naissance d’un enfant, ou cérémonies traditionnelles du shichigosan à 3, 5 et 7 ans. Cette énergie vitale s’exprime aussi dans les festivals empreints de joie et de ferveur.  À Ise, site le plus sacré du shintō, les sanctuaires sont reconstruits tous les vingt ans à l’identique, symbolisant un renouveau perpétuel où passé et présent s’entrecroisent, tel un retour incessant à l’élan originel de la vie. « Le shintō est essentiellement une religion d’affirmation de la vie. »3

François Roustang insistait lui aussi sur cette affirmation. On l’entendait dire aux patients : « Est-ce que vous pouvez sentir que vous êtes vivant ? » Il ajoutait : « Non pas vivant, faisant telle chose. Non pas vivant, pensant telle chose. Mais simplement vivant. Voilà une expérience fondamentale. »

Ainsi, la voie des dieux et la voie de l’hypnose partagent un lien profond avec le flux de la vie. Chacune, à sa manière, nous reconnecte aux forces vitales qui nous animent, au-delà des mots et des concepts. Raviver ce souffle de vie chez un patient, l’aider à dépasser ses blocages pour retrouver l’élan d’exister pleinement, c’est toute la puissance de l’hypnose.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Bréchemier Bruno, Hypnose-Japon, Rencontre en résonance, Editions Satas (2024), p.37.
  2. Melchior Thierry, Créer le réel, Editions du Seuil (1998), p.40.
  3. Yamakage Motohisa, Shintō, Sagesse et Pratique, Le Prunier Sully (2012), p.63.

Article paru dans la revue Hypnose et Thérapies brèves, n°77, p.114-118.

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